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CINQ,
Patience et persévérance
Les habitants du Punjab ont une chanson :
Sadâ nâ bâgin boulboul bolé,
Sadâ nâ bâg bahârân;
Sadâ nâ râj khoushî dé hondé,
Sadâ nâ majlis yârân !
Et cela veut dire en français :
Le boulboul ne chante pas toujours dans le jardin ;
Le jardin n'est pas toujours en fleurs ;
Le bonheur ne règne pas toujours ;
Ceux qui s'aiment ne sont pas tous les jours ensemble!
La conclusion de cette chanson est que nous ne pouvons nous
attendre à être toujours satisfaits, et qu'une des choses les plus utiles est de
savoir être patient. Car il n'est pas beaucoup de jours dans la vie où nous
n'ayons une occasion d'apprendre à le devenir.
Vous avez quelque chose à demander à un homme fort occupé. Vous
vous rendez chez lui. De nombreux visiteurs s'y trouvent déjà; il vous fait
attendre un très long temps avant de vous recevoir. Vous restez là paisiblement,
pendant plusieurs heures peut-être. Vous êtes patient.
Une autre fois, celui que vous désirez voir est absent de chez
lui quand vous y arrivez. Le lendemain vous refaites le même chemin; mais sa
porte est encore fermée. Une troisième fois vous y retournez; mais il est
souffrant et ne peut vous recevoir.
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Vous laissez passer quelques jours, puis vous reprenez le même chemin, et si une nouvelle
circonstance encore vous empêche de le rencontrer, vous ne vous découragez pas
pour cela, mais vous revenez à la charge jusqu'à ce qu'enfin vous l'ayez vu. Ce
genre de patience s'appelle la persévérance.
La persévérance, c'est la patience active, la patience en
marche.
Le fameux marin génois, Colomb, s'embarqua en Espagne pour
traverser les mers inconnues de l'ouest.
Pendant des jours et des semaines, malgré les murmures de ses
compagnons, il persista dans sa volonté d'atteindre une terre nouvelle; et
malgré les retards et les difficultés il ne se lassa point qu'il n'eût atteint
les premières îles de l'Amérique. Ainsi il découvrit le Nouveau Continent.
Que demandait-il à ses compagnons? Il leur demandait seulement
d'avoir de la patience, car ils n'avaient qu'à s'en remettre à lui et à se
laisser conduire docilement. Mais que lui fallait-il à lui-même pour atteindre
son but? Il lui fallait cette énergie durable, cette endurance de la volonté
qu'on nomme la persévérance.
Le célèbre potier Bernard Palissy voulait retrouver le secret
perdu des belles faïences anciennes revêtues d'émaux aux riches couleurs.
Pendant des mois et des années, il poursuivit sans se lasser ses
recherches. Ses tentatives pour trouver l'émail furent longtemps infructueuses.
Il y consacra tout ce qu'il pouvait posséder; et durant des nuits et des jours,
veilla devant le four qu'il avait construit, essayant sans cesse des procédés
nouveaux pour la préparation et la cuisson de ses poteries.
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Et non seulement personne ne l'aidait et ne
l'encourageait à cela, mais ses amis, ses voisins, le traitaient de fou, et sa
femme elle-même le blâmait de ce qu'il faisait.
N'ayant plus de ressources, il dut interrompre plusieurs fois
ses recherches; mais dès qu'il le pouvait, il les reprenait avec un nouveau
courage. Enfin un jour, n'ayant même plus le bois nécessaire pour chauffer son
four, malgré les cris et les menaces de ceux qui vivaient près de lui, il mit au
feu ses propres meubles, jusqu'au dernier. Puis quand tout fut brûlé, il ouvrit
le four, et le trouva rempli des brillants émaux qui ont fait sa gloire et à la
découverte desquels il avait sacrifié tant d'années.
Que manquait-il à sa femme et à ses amis pour attendre, sans le
tourmenter et lui rendre la tâche plus difficile, l'heure du succès qui sonna
pour lui? Tout simplement de la patience. Et quelle est la seule chose qui ne
lui manqua pas à lui, la seule qui ne lui fit jamais défaut, et qui lui permit à
la fin de triompher des difficultés et des railleries? Ce fut justement la
persévérance, c'est-à-dire la force plus forte que tout.
Car il n'est pas de chose au monde qui puisse résister à la
persévérance. Et même les plus grandes sont toujours l'accumulation de petits
efforts inlassables.
Il y a d'énormes blocs de rocher qui ont été détruits tout
entiers, usés par les gouttes de pluie tombant l'une après l'autre à la même
place.
Un grain de sable n'est pas une puissante chose; mais quand ils
s'ajoutent les uns aux autres, ils forment la dune et arrêtent ainsi l'océan.
Et quand vous apprendrez l'histoire naturelle, on vous dira que
des montagnes ont été formées sous la mer par de petits animalcules entassés les
uns sur les autres, et dont l'effort persévérant a fait surgir au-dessus des
flots, des îles et des archipels magnifiques.
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Et pensez-vous que vos petits efforts répétés ne puissent pas
produire aussi de grandes choses?
Le fameux sage Shankara dont le nom fait la gloire du pays de
Malabar, et qui vivait il y a environ 1200 ans, avait, depuis son enfance,
résolu de devenir Sannyasi.
Pendant longtemps, sa mère, bien qu'appréciant la noblesse de
son désir, ne lui permit pas de se consacrer à ce genre de vie.
Un jour, elle et son fils allèrent à la rivière pour s'y
baigner. Shankara plongea et se sentit tout à coup saisi au pied par un
crocodile. La mort semblait imminente. Mais même à ce terrible instant, le brave
enfant n'ayant en vue que son grand projet, cria à sa mère :
— "Je suis perdu. Un crocodile m'entraîne. Mais laisse- moi au
moins mourir Sannyasi."
— "Oui, oui, mon fils", sanglota la mère éperdue. Shankara eut
tant de bonheur qu'il trouva la force de
dégager son pied et de se jeter sur la rive.
Il grandit dès lors en savoir en même temps qu'en âge. Il devint
un gourou, et resta fidèle à sa grande œuvre d'enseignement philosophique
jusqu'à la dernière minute de sa vie merveilleuse.
Tous ceux qui aiment l'Inde, connaissent le beau poème du
Mahabharata.
Il fut écrit en sanskrit il y a de nombreux siècles. Jusqu'à ces
dernières années aucun Européen ne pouvait le lire, à moins de connaître le
sanskrit, ce qui est peu fréquent. Une traduction en une des langues européennes
était nécessaire.
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Babou Pratap Chandra Rai résolut de se consacrer à cette œuvre.
Il put trouver dans son pays un ami instruit, Kisori Mohan Gangouli, capable de
traduire en anglais le livre sanskrit, dont les cent parties furent publiées
successivement.
Pendant douze ans Pratap Chandra Rai poursuivit la tâche qu'il
s'était donnée. Il consacra toutes ses ressources à la publication du livre. Et
quand il n'eut plus rien, il parcourut les différentes parties de l'Inde,
demandant du secours à tous ceux qu'il trouvait disposés à lui en donner. Il
trouva pour l'aider des princes et des paysans, des érudits et des ignorants,
des amis d'Europe et d'Amérique.
Il prit au cours de l'un de ces voyages la fièvre pernicieuse
dont il mourut. Pendant sa maladie toutes ses pensées étaient tournées vers
l'achèvement de son oeuvre. Et même quand il ne parla plus qu'avec peine, il
disait encore à sa femme :
— "Il faut que le livre soit terminé. Ne dépense pas d'argent
pour mes funérailles si l'argent est nécessaire pour l'impression. Vis d'une vie
aussi simple que possible afin d'économiser pour le Mahabharata."
Il mourut le cœur plein d'amour pour l'Inde et son grand poème.
Sa veuve, Sundari Bala Rai, se conforma fidèlement à son grand
désir. Un an après, le traducteur avait achevé son travail et les onze volumes
du Mahabharata furent donnés au public d'Europe qui désormais peut connaître et
admirer les dix-huit "parvas" du splendide poème épique. En le lisant, il
apprendra à respecter le grand talent et la sagesse de ces penseurs profonds que
furent les anciens poètes de l'Inde.
Tels sont les fruits que portent les efforts de tous ceux qui,
comme Pratap Chandra Rai et tant d'autres hommes utiles, savent persévérer.
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Et vous, braves enfants, ne voulez-vous pas vous joindre à la grande armée des hommes et des femmes qui ne se lassent pas
de bien faire, et n'abandonnent jamais leur tâche avant de l'avoir terminée.
Dans ce vaste monde, il ne manque pas de belles œuvres à
accomplir; il ne manque pas non plus de bonnes gens pour les entreprendre; mais
ce qui manque bien souvent, c'est la persévérance qui seule peut les mener à
bonne fin.
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